La poésie a-t-elle une voix ?

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Lors du festival Voix Vives de Sète, PoPMyVoice a fait une table ronde autour de poètes prometteurs.

Les Editions de La Crypte récompensent chaque année un jeune poète talentueux de moins de 30 ans par la publication de son recueil. Rencontre avec Axel Sourisseau, Victor Malzac et Alban Kacher, qui ont remporté le prix en 2017, 2019 et 2020. Ils nous présentent leur vision de la musicalité en poésie.

Quelle est la différence selon vous entre la voix, la parole et le langage ?

ALBAN: La voix a un timbre particulier, elle est individuelle. La parole est forcément oralisée tandis que le langage, c’est la communication en général, tout ce qui dit quelque chose.

VICTOR : La parole est verticale, elle nous fait se lever. Le langage est plus horizontal, c’est un face-à-face.

AXEL: Le langage est ancré dans l’histoire et la géographie. Il y a une typologie. Alors que la parole et la voix sont plus universels, moins circonscrits à un contexte. Et lorsque j’écris dans mon recueil, « les langues sont sable », je voulais parler des langues mortes, mais aussi des langues sèches, lorsqu’on a la gorge nouée et qu’on n’arrive pas à s’exprimer. Le sable mouvant est un élément qui représente bien l’idée que les langues peuvent prendre plusieurs formes, c’est la multiplicité.

On peut dire que la poésie est à la fois une parole, un langage et une voix. Que pensez-vous de dire les poèmes à voix haute ?

VICTOR : Je pense que la poésie contemporaine a tendance à perdre l’habitude de faire le lien entre le texte et l’oral. Mais c’est perdre le rapport à la musique et au chant. La mise en voix d’un poème permet de l’adresser à quelqu’un et permet donc de renouer avec la parole. De la même manière, l’interprétation d’un poème peut être changée ou enrichie lorsqu’il est dit à l’oral.

ALBAN : Mais je pense que la mise en voix d’un poème est mieux faite par l’auteur lui-même dans certains cas. Sinon on peut passer à côté du poème s’il est lu avec la voix du lecteur. Par exemple, dans mon poème, j’ai remarqué que certains ne se rendaient pas compte d’un jeu de mots à cause d’une mauvaise prononciation.

Lorsque j’écris :

« Je ne rentrerai pas –

Sent les jours et les stations qu’importe », le tiret permet de faire une coupure discrète, pour qu’on puisse entendre « passent les jours ».

Je l’avais compris « pas sans les jours », tiens c’est amusant comme la prononciation permet des interprétations différentes des poèmes !

ALBAN : Ce clin d’œil doit être dit d’une certaine façon à voix haute, mais j’aime beaucoup l’idée que la voix puisse donner libre cours à des compréhensions différentes des poèmes.

VICTOR : Le poème dont parle Alban est un calembour, ils fonctionnent mieux à voix haute.

AXEL : Il y a des poèmes qu’on ne comprend vraiment que lorsqu’on les entend. On peut même redécouvrir le texte. Par exemple, le poème de Jean Genet écrit en 1942 alors qu’il était emprisonné, « Le condamné à mort », dédié à un assassin guillotiné à Rennes en 1939 est une poésie chantée qui rend bien compte du rythme des mots.

Dans mon recueil « Le Ravin aux Ritournelles », j’ai d’ailleurs écrit le texte pour qu’il puisse être lu à l’oral par tous. Et lorsque j’écris « J’ai ta voix dans les yeux, Aurelia », je passe par la synesthésie en croisant les différents sens. C’est une façon de donner la parole au poème. Je dis ici que de regarder silencieusement une personne qu’on aime fait surgir en soi des discussions, des musiques partagées ensemble.

Et comment faire pour dire ou chanter un poème ?

VICTOR : J’essaie de remettre au goût du jour des rythmes, des rimes grâce à des phrases isolées qui ont des échos et se répondent. Tout ne dépend pas des mots, c’est aussi ce que traduisent les espaces, les tirets longs qui permettent de dire à l’oral les poèmes. C’est comme une partition de musique, c’est un moyen de mettre en forme la respiration.

Dans mon recueil, je parle d’espaces étriqués, de chambres fermées, de limitations. Le corps bouillonne, mais il ne peut pas bouger. Je veux dire les poumons qui se compriment quand on ne peut pas parler. Le temps long, le balbutiement, le murmure, je l’exprime dans les lieux fermés. La parole énervée, lyrique peut se dire grâce à des images d’espaces sans échappatoires. A ce moment, la lecture se doit d’être plus calme.

A mesure de mon recueil qui part d’un échec amoureux qui déprime, on s’avance vers la réappropriation de son souffle, de son corps et de sa fierté personnelle. Et là l’idée c’est d’amplifier une voix comprimée ; la lecture de la fin du recueil suppose une lecture plus vive. Je mets de la musique dans la poésie grâce aux apocopes notamment.

Et ce sont aussi des mélodies qui inspirent mes poèmes, comme la musique vaporwave.

AXEL : Moi, je suis inspiré par les percussions qui sont comme des galops des mots.

Comment le souffle et la voix peuvent-ils donner du relief au poème ?

VICTOR : Pour moi, tout part du souffle comme lorsque j’écris : « Je respire

Comme je peux

Face à la mer

Tousse

Puisqu’elle absorbe absolument toute

Mon énergie

Comme une femme attendue ». Et je ne mets jamais de points pour plus de fluidité.

AXEL : Cela dépend notamment de la forme du poème. Pour ma part, je fais de la prose narrative. On suit un musicien itinérant. Il suit le rythme des paysages. Et si le chant n’est pas cité, il transparaît dans le chant de la ville. C’est le paysage qui fait corps plus que le personnage. La respiration vient du paysage comme de la géopoésie et de la page blanche qui entoure le texte du poème.

Axel, pourquoi avoir appelé l’âne Eko dans ton recueil ?

Lorsque j’écris « les sabots d’Eko tassent la route d’un curieux tempo », je voulais établir un lien entre le musicien et son compagnon, un animal qui ne parle pas. C’est une sorte d’alter ego du personnage, un écho silencieux. L’âne fait un contre point avec le paysage et l’homme.

François Cheng a écrit : « l’esprit raisonne et l’âme résonne », pensez-vous que la poésie permet cette dualité entre la voix et la pensée ?

ALBAN : C’est le même mouvement, quand tu écris, tu avances. J’ai trouvé l’inspiration en faisant le tour de la Baltique à vélo.

« Regard à mesure de souffle

Le sommet de la côte pour ciel suffisant », c’est dire que les efforts du corps sont liés à ceux de notre pensée. Mais je ne parlerai pas d’âme, mais plutôt d’un flot de pensées. Ecrire la respiration, c’est un travail d’expansion et de compression du texte, comme un souffle qui renaît. C’est aussi l’idée de modestie, de ne pas aller plus loin que le souffle ne le permet.


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Pour suivre les traces de Paul Valery et s’inspirer :

« Un grand calme m’écoute, où

J’écoute l’espoir.

La voix des sources change et

Me parle du soir. » (Narcisse Parle)